36 fables électorales à l'usage des Français du nord (5)
22. Images d'Epinal.Ce soir-là, solitaire, tout en trempant sa biscotte dans son thé – biscotte car on ne trouvait pas de véritables madeleines à Kongsvinger –, Marcel songeait aux élections à venir, élections qu'on lui promettait depuis 2 ans et auxquelles il s'était consciencieusement préparé, mais que Paris reportait régulièrement au vu de la pandémie et de ses pics, ce qui l'obligeait à attendre encore et toujours pour voter pour la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires', seule liste compatible avec une époque marquée par le Covid-19, la fonte des glaces et les inégalités croissantes. Dans sa maison norvégienne, Marcel vivait dans les moirures ambiguës des souvenirs qui immobilisent et réagencent ce qui fut une réalité, et il s'était petit à petit entouré de vieilleries, de bibelots, d'images, d'odeurs de poussières, se ressentant comme un être démodé, sensation très courante à notre époque de vitesse où il est impossible d'être contemporain de son temps, car celui qui fait la mode n'est précisément pas encore à la mode, il anticipe une tendance, il se situe avant la reconnaissance de celle-ci, contrairement à celui qui suit la mode, qui, lui, est déjà en retard sur celle-là. Ce déphasage constant par rapport au présent, ce fait d'être perpétuellement en retard, ne gênait aucunement Marcel, en tout cas beaucoup moins que la fonte des glaces, la déforestration, ou la montée des égoïsmes, parce que, d'une part, la mémoire est un phénomène sélectif, et qu'on choisit toujours, plus ou moins inconsciemment ce qu'on va raconter à ses petits-enfants, ou à ses lecteurs, et d'autre part, parce que le présent échappe à la conscience par sa trop grande proximité, et ne peut être saisi que dans l'après-coup d'une véritable recherche du temps perdu, recherche devenue, en un sens, la tasse de thé de Marcel. L'ayant bue, Marcel baissa le radiateur, éteignit la lampe et alla se coucher. Ce soir encore, il s'endormirait en rêvant à son enfance en Eure-et-Loir, enfance ayant plus ou moins mal traversé l'épaisseur cotonneuse des temps, ou, en rêvant aux élections tant attendues en Islande et Norvège et à la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires'.
(très librement adapté de M. Proust. 1871-1922)
23. Délit de fuite.
Depuis plusieurs jours, Léa entendait le bruit d'une eau qui coulait, mais n'avait pas trouvé l'origine de la fuite, ni sous l'évier, ni sous le chauffe-eau, ni dans les toilettes. Bien sûr, le tuyau de douche perdait un peu, mais ce n'était que quelques gouttes par heure. Ce bruit d'eau qui fuyait quelque part empêchait Léa de dormir sereinement, même si elle n'avait plus de compteur d'eau depuis qu'elle habitait en Norvège. Détestant le gaspillage et se demandant si cela avait un sens caché, elle avait demandé à la conseillère des Françaises de l'étranger de passer pour l'aider. Pour Léa, il n'y avait pas une énorme différence entre un conFrét et un plombier… Arrivée chez Léa, la conFréte sortit son stéthoscope, écouta à différents endroits de la maison, murs, sols et plafonds, puis lui expliqua que ces fuites importantes étaient malheureusement causées par le changement climatique qui occasionnait un nombre toujours plus grand de dégâts des eaux. Un plombier ne pouvait rien faire, seule une élection pouvait colmater ce type de fuite, ajouta-t-elle. Léa, dépitée, protesta car elle avait voté pour la bonne liste la dernière fois, et elle s'apprêtait maintenant à voter pour la liste 'Ensemble, Français écologistes et solidaires', seule liste voulant lutter réellement contre les dégâts sociaux et les dégâts des eaux.
La conFréte la félicita de sa forte conscience des urgences du moment, puis lui demanda si elle rêvait à l'eau, si elle avait des rêves d'eau. Léa, surprise, lui demanda s'il y avait un problème alluvionnaire. Tranquillement, la conFréte lui déclara alors que « tout est rêvé avant d'être vu ou entendu ». Léa lui avoua que, depuis quelques mois, il lui arrivait de faire des rêves d'eau dormante, une eau sournoise, sale ou souillée et sans nénuphar, et que, ne pas voir ou connaitre la profondeur de ces mares l'angoissait et la réveillait. La conFréte lui expliqua alors que ces rêves désagréables n'avaient rien à voir avec sa fuite d'eau, une eau claire et courante, et que ses cauchemars étaient typiquement liés à la pandémie actuelle. Et elle repartit. Léa savait maintenant qu'il n'y a pas une énorme différence entre une bonne plombière, une bonne analyste, et une bonne conFréte: elles débouchent toutes trois efficacement les tuyauteries. Elle tendit l'oreille: l'eau continuait à couler… Il était urgent de voter pour la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires'.
(très librement adapté de G. Bachelard. 1884-1962)
24. Le songe d'un habitant du Nordland.
Un jour, un Français habitant en Norvège du nord vit en songe un volcan crachant des flammes et des scories jusqu'au ciel et fumant comme il n'est pas permis, même à un volcan islandais. La terre tremblait et le ciel était complètement assombri. Il eut l'impression que toute la terre sur laquelle il se trouvait allait disparaitre, engloutie par des flots bouillonnants. Puis, ce même rêveur vit des cabillauds qui nageaient en grande quantité dans une mer très claire et sans la moindre ride, autour de lui; il nageait lui aussi dans cette mer plate, parmi tous ces poissons, et se sentait lui aussi comme un poisson dans l'eau. Chose étonnante, on ne voyait pas un seul bout de plastique dans l'eau, ni une terre à l'horizon, et l'eau n'était pas même froide. Il se réveilla, surpris par ce double songe qui sortait complètement de l'ordinaire. Soupçonnant du mystère, il alla se faire expliquer l'affaire.
L'interprète lui dit: « Ne vous étonnez point, votre double songe a du sens; et, comme j'ai sur ce point acquis tant soit peu d'habitude, c'est un avis des dieux. Le banc de cabillauds des Lofoten, poissons respectueux de la nature, représente clairement le développement durable et surtout solidaire auquel vous aspirez. Estimez-vous heureux de n'avoir pas rêvé de grenouilles ou d'escargots baveux! L'explosion volcanique avec ses gilets jaunes, ses rejets industriels, ses virus, sa lave brulante, ses casseurs, et ses scories sociales projetées jusqu'au ciel m'indique qu'une élection devrait être imminente. Ce songe vous donne clairement une consigne de vote, mais n'étant pas très au fait des affaires politiques françaises, je n'oserais vous expliquer plus avant quel est maintenant votre devoir civique. » Notre habitant, comprenant clairement qu'il avait le devoir de voter pour la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires', acquiesça. L'interprète, plutôt satisfait de sa prestation, se fit payer chèrement cette consultation, et dit à notre Français du Nordland qu'il serait le bienvenu, lors du prochain songe troublant et difficile à comprendre, comme par exemple, s'il rêvait qu'à minuit, la terre devenait une citrouille.
(très librement adapté de J. de Lafontaine. 1621-1695)
25. Quel été !
Charles avait passé un été formidable: enfin un été en Norvège, pour la première fois depuis de très nombreuses années ! D'habitude, avec Emma, sa femme norvégienne, ils passaient leurs vacances d'été en France, et ils s'y empiffraient de courgettes, d'abricots, de fromages et de vins : des étés ensoleillés et chauds, de vraies vacances. Et puis, patatras: le Covid-19 avec son lot de quarantaines à observer au passage de chaque frontière alors que les vacances n'étaient pas extensibles. Pour une fois, ils étaient donc restés en Norvège, "au bled", comme disait Emma, qui avait des lettres, pour qualifier la bourgade où ils habitaient, en regardant de sa fenêtre la pharmacie d'en face, seule pharmacie de toute la vallée. A quoi lui servait-il de s'être mariée à un Français, si c'était pour rester sur place ?
Charles comprenait bien que ce n'étaient pas seulement les courgettes qui manquaient à sa femme, que c'était principalement 'les lumières de la ville'. Lui, à part le report des élections jusqu'en fin mai 21, il était satisfait de rester pour une fois dans la lumière estivale de cette lointaine province nordique, bien que cela fasse enrager Emma. Le report des élections avait conforté Charles dans l'idée de voter pour la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires'. Emma ne trouvait pas très érotiques ses discours contre les baisses d'impôts pour les riches, les inégalités croissantes, et le libéralisme avancé qui rongeait la société. Si, au moins, à force d'en parler, il devenait sénateur, ce serait alors formidable, ils partiraient habiter à Paris, et une vie exaltante commencerait alors pour Emma ! Elle en rêvait. En attendant, elle comprenait bien qu'il veuille voter pour la liste 'Ensemble, Français écologistes et solidaires' : elle n'était pas aussi gourde que certains voudraient nous le faire croire. Mais quand on lui parlait de l'été, elle demandait: «Quel été ? Je n'ai pas eu d'été, en 2020 ! Est-ce que j'en aurai un en 21 ?»
(très librement adapté de G. Flaubert. 1821-1880)
26. Une si longue attente.
Pendant cette longue attente des élections, Emile repensait à l'histoire du chien qui attendait le retour de son maitre. Tous les jours, le chien sautait par dessus le petit portail de la maison et courait jusqu'à la gare où son maitre arrivait après une journée harassante de travail. Il y arrivait toujours quelques minutes avant le train de banlieue d'où descendait son maitre, bien que n'ayant pas de montre au poignet. Et tous les soirs, le maitre expliquait à son chien que pour rêver, il ne faut pas fermer les yeux, il faut lire. Le chien, alors, remuait la queue, de contentement, et se demandait quand son maitre lui apprendrait enfin à lire. Un jour, le maitre eut un accident de circulation en sortant de son travail, et il était mort. Le chien l'avait attendu en vain, puis était revenu fidèlement à la gare, à la même heure, tous les jours pendant un an. Emile ne se souvenait plus exactement comment se terminait cette histoire que sa mère lui lisait de temps en temps le soir au coucher. Ça finissait probablement mal car on n'était pas dans un monde socialement controlé par Walt Disney.
Maintenant, c'était lui qui attendait. Il n'attendait pas une élection tous les soirs, bien sûr, mais il s'était habitué au retour régulier d'élections diverses en mai ou juin. Depuis quelques années, il était en douloureux manque d'élections municipales, et surtout de référendum qu'il considérait comme une apothéose rituelle de la 5e République. Mais Macron n'était pas De Gaulle, il se prenait pour Jupiter, et, il pensait que le pouvoir doit s'exercer du haut vers le bas, que donner la parole au peuple est une dangereuse abérration… Aussi avait-il remplacé les référendums par des 'commissions citoyennes' ad hoc , dont les membres, triés sur le volet, étaient déclarés tirés au sort. Heureusement pour Emile, revenaient quand même les présidentielles, les législatives, et les sénatoriales (par conFrét interposé). En mai 2020, l'élection des conseillers avait été reportée pour cause de pandémie, départ annulé du train démocratique d'alors. Un drame. Emile avait toujours pensé que mettre un bulletin dans l'urne constituait le meilleur des gestes barrière contre le covidisme de la désinformation. Il s'agissait peut-être d'une conspiration pour éviter que tout le pays ne bascule dans la solidarité écologiste ! Un complot fomenté par le pouvoir politique, la droite, pour contrôler le comportement des citoyens ! Une manœuvre, au nom de 'la rationalité', une rationalité relevant bien sûr du libéralisme économique ! Emile en bouillait de rage. Il lui faudrait encore attendre, fébrilement, pour voter enfin pour la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires'…
(très librement adapté de de M. Foucault. 1926-1984)
27. La seringue.
Les laboratoires pharmaceutiques n'en finissaient pas d'affirmer qu'ils avaient sauvé l'humanité, en trouvant un vaccin contre le Covid, et qu'il fallait les exempter à tout jamais d'impôts et taxes, en juste retour des choses. Ils proposaient maintenant d'entamer des recherches contre d'autres maladies autrement dangereuses: le populisme (Marinavirus, ou son variant américain, Trumpovirus) ou le communautarisme (Darmarinovirus). Et ils réclamaient des subventions importantes, arguant de la difficulté d'une mise au point de tels vaccins. Mais pouvait-on laisser l'opinion et les croyances des Français dépendre de laboratoires privés ? N'y avait-il pas là un danger pour la démocratie ? Le gouvernement de Macron mettait en avant les importants gains espérés pour minimiser les dangers de ce néo-libéralisme. Mais les gilets jaunes menacèrent de recommencer leurs grandes manœuvres autour de chaque rond-point du pays, et le 1er ministre se résigna alors à annoncer en roulant blégèrement les R que ce serait l'Institut Pasteur qui serait seul chargé des recherches et de l'obtention d'une immunité collective, et, que ce vaccin ne serait que "presque obligatoire" (sic).
Les Français de Norvège et d'Islande suivaient avec attention ces discussions hexagonales, le consulat dans les 2 pays ayant très vite annoncé, avant même le début des recherches, qu'il deviendrait centre de vaccination pour les nationaux, et non plus centre de vote. Cette reconversion serait rapide et efficace: on vaccinerait dans les anciens isoloirs, il suffisait de remplacer les bulletins de vote par des seringues républicaines, qui seraient glissées dans l'urne après usage, "pour éviter tout risque de contagion". Par un singulier souci d'apaisement, le ministre de l'intérieur avait tout de suite expliqué sur TV5 qu'on pourrait commander par courriel la couleur de sa seringue (bicolore vert-rose, rouge, bleu délavé ou bleu foncé), la seringue transparente étant réservée à ceux qui se prétendaient neutres, et une blanche pour les royalistes, mais seulement dans le royaume de Norvège. « Il y en aura un peu pour tous les goûts », avait-il déclaré, évitant de préciser que les seringues de luxe, non remboursées par la Sécurité sociale, seraient réservées aux riches, et que les pauvres devraient se contenter de seringues second-choix avec aiguille creuse en fer-blanc, très 'First Price'. Du côté de l'opposition, la liste 'Ensemble, Français, écologistes et solidaires', seule liste anti-seringue pour riches et anti gangrène sociale, rappela qu'avant, il y avait des malades, pas des patients comme maintenant, immense différence. Et elle annonça qu'elle continuerait à faire campagne normalement pour les 'bons' conFréts et les bons sénateurs (pas pour des malades).
(très librement adapté de de M. Leblanc. 1864-1941)
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