Editorial, sept. 18: convention fiscale
On peut lire sur une des pages du Ministère (MAE) : "Renégociations en cours des conventions fiscales avec, en Europe, la Belgique, la Pologne, l'Irlande, les Pays-Bas, la Norvège et, hors Europe, la Zambie, le Malawi, l'Inde, Hong Kong, l'Angola." De même, sur une des pages www.regjeringen.no/, il est indiqué concernant la convention fiscale entre la France et la Norvège: Skatteavtale mellom N. og F.: Pågående forhandlinger om inngåelse av avtale /revisjon (helt eller delvis) av eksisterende avtale. Cette nouvelle convention concernera environ un peu plus de la moitié des Français en Norvège, car elle concernera peu les binationaux dont la plupart n'ont jamais travaillé en France (donc pas de revenus ou de retraite française), et dont beaucoup n'ont pas de fortune en France (pas de maison de vacances). Mais cette nouvelle convention pèsera sur la moitié des Français de Norvège.
On sait que la Norvège souhaite revoir la convention actuelle pour l'aligner sur celle conclue avec de nombreux autres pays: pour les particuliers, l'impôt des résidents fiscaux en Norvège (c.à.d ceux dont le foyer est en Norvège) serait alors calculé selon les règles norvégiennes, pour un impôt sur l'ensemble des revenus français + norvégiens et de même pour la fortune. L'impôt déjà payé en France serait déduit (donnerait lieu à un crédit d'impôt –kredit fradrag for skatt betalt i utlandet av person) de l'impôt selon les règles norvégiennes.
Ce système du crédit d'impôt poserait une série de problèmes.
Le premier concerne la définition de "impôt", qui varie selon les pays. En France, on paie des impôts, des taxes, des droits et des redevances. Dans les prélèvements obligatoires, ne sont pas compris comme impôts la fiscalité indirecte comme la TVA, ou les TIPP (taxes sur les produits pétroliers), évidemment, ni la cotisation à la Sécurité sociale non plus même si incluse dans la déclaration d'impôts en Norvège. Mais il existe aussi toute une série de taxes qui n'entrent pas toujours dans la définition de "impôt" dans un pays ou l'autre. La CSG, par exemple: les non-résidents (ceux dont le foyer n'est pas en France) doivent payer un prélèvement de 17,2% sur leurs revenus immobiliers (les revenus fonciers ainsi que les plus-values immobilières). La CSG n'étant pas un impôt (mais une "contribution", selon la définition française: "contribution sociale généralisée"), elle ne peut déclencher un crédit d'impôt en Norvège. Pourtant, elle rapporte à l'Etat français plus que l'impôt sur le revenu… Le gouvernement ne veut évidemment ni supprimer une telle source de revenus, ni en changer le nom car l'appeler "impôt" correspondrait à une augmentation de l'impôt !
Un crédit d'impôt donc, si il y a impôt selon les règles norvégiennes: si vous possédez une résidence de vacances en France, vous devrez payer chaque année une taxe d'habitation et une taxe foncière, mais on ne vous accordera aucun crédit d'impôt pour autant. Non seulement ce n'est pas un "impôt" mais une "taxe", mais de plus, "Skattyter kan ikke kreve fradrag for fransk eiendomsskatt dersom vedkommende kun bruker ferieboligen på en måte som ikke utløser beskatning i Norge". Les droits de succession français ne seront pas pris en compte car cet impôt n'existe plus en Norvège, ni les frais de notaire, etc, etc.
Enfin, pour bénéficier d'un crédit d'impôt, il faut prouver qu'on a bien payé des impôts et avec le détail (sur quoi exactement ?). Ce sera très difficile pour les Français en Norvège. Le centre des impôts non-résidents (SIPNR = Service des impôts des particuliers non-résidents, à Noisy-le-Grand) n'envoie rien par la poste, tout étant électronique, et on ne peut produire de justificatif. Le percepteur norvégien pourra réclamer des précisions (les détails) qu'on sera dans l'incapacité de lui fournir. Enfin, beaucoup auront même des difficultés à avoir accès à leur dossier fiscal informatique: pour cela, il leur faudrait d'abord connaitre leur numéro fiscal, inconnu de beaucoup, car l'Etat prélève directement l'impôt sur le compte en banque. Quand on connait les difficultés de communication avec le SIPNR et quand on sait qu'en Norvège, on soupçonne les étrangers (vous et moi) d'accepter facilement l'évasion et la fraude fiscale, bonjour les dégâts: on va droit vers la double imposition…
Qu'en est-il de la situation actuelle ? Selon l'accord actuel, on doit déclarer au percepteur norvégien l'ensemble des revenus français et norvégiens, de même que la fortune. Les revenus français complets (bruts) sont pris en compte dans leur totalité pour le calcul de la cotisation sociale norvégienne (folketrygdavgift: 5,1% på pensjonsinntekt og 8,2% på lønnsinntekt), car ce n'est pas un impôt. Pour l'impôt sur le revenu, la convention actuelle précise (article 24 sur l'élimination des doubles impositions): "2. b) Lorsque, conformément aux dispositions de la Convention, les revenus qu'un résident de Norvège reçoit ou la fortune qu'il possède sont exonérés d'impôt en Norvège, la Norvège peut néanmoins, pour calculer le montant de l'impôt sur le reste des revenus ou de la fortune de ce résident, prendre en compte les revenus ou la fortune exonérés." En d'autres termes, les revenus ou retraites françaises imposés en France sont pris en compte pour augmenter l'impôt sur les revenus norvégiens (on passe ainsi dans une tranche supérieure). Cette méthode permet de conserver la progressivité de l'impôt en Norvège.
Actuellement, on n'a pas besoin de prouver qu'on a payé des impôts en France pour ces revenus ou cette fortune exonérée d'impôt en Norvège, en vertu de la convention fiscale. Pas de justificatif à fournir. On doit seulement fournir une attestation de résidence fiscale en Norvège pour éviter la double imposition sur certains revenus.
Notons que cela n'est pas symétrique : la France ne prend pas en compte vos revenus ou votre fortune en Norvège, dans le calcul de l'impôt français (pour la partie exonérée d'impôt en Norvège) : "L'impôt sur le revenu dû par les personnes qui ne sont pas fiscalement résidentes en France est établi sur leurs seuls revenus de source française" (article 197A du CGI –le code général des impôts). Mais pour les non-résidents, on n'applique pas certains abattements ou plafonnements, contrairement à ce qui se passe pour ceux qui ont seulement des revenus en France.
Enfin, notons que tout ce qui n'est pas défini comme "impôt", mais comme taxe ou redevance n'est pas pris en compte par la convention actuelle, qui définit longuement ce qu'est une fortune ou des revenus, mais ne définit pas du tout ce qu'est un impôt… Est-ce qu'une contribution fiscale est un impôt ? Mystère! Il faut dire que quand on lit cette convention, on comprend que l'impôt des particuliers n'intéressait pas beaucoup les négociateurs : ceux-ci ont mis l'accent sur les sociétés (l'impôt sur les sociétés). Et, c'était aussi avant toutes les controverses et les jurisprudences autour de la CSG.
Qui sont les négociateurs ? On n'est pas dans le secret des dieux. Il s'agit probablement d'une commission, mais on sait que les précédents accords ont été signés par l'Ambassadeur de France – côté français. Il va falloir demander à cette commission de s'intéresser un peu plus aux Français vivant en Norvège. Et aussi de lui demander instamment de prendre en compte le fonctionnement (c.à.d. le fonctionnement déficient) du Service des impôts des particuliers non-résidents, à Noisy-le-Grand. Les Français en Norvège sont maintenant beaucoup plus nombreux que quand la précédente convention fiscale a été signée, et ils méritent qu'on s'intéresse à eux. On pourrait aussi leur demander leur avis. Pour consulter le texte de la convention Editorial, avr. 18: les héritiers
L'année scolaire 2017 a été marquée par le "scandale" des admissions dans le supérieur: un tirage au sort pour entrer dans les nombreuses filières engorgées de l'université, et un taux d'échec excessif en 1ère année. Bref, le monde politique a découvert la grande misère de l'université française. Devant le tollé provoqué par la découverte de ce secret de Polichinelle, le ministre a décidé une grande mesure palliative: la nouvelle plateforme d'inscription dans le supérieur, Parcoursup, succède à Admission post-bac (APB) en 2018, et les lycéens de terminale désirant entamer des études supérieures inscriront 10 vœux (contre 24 auparavant), sans les classer. Tout le monde a compris que le ministre va ainsi déplacer les problèmes (via un principe général de sélection à l'université) au lieu de les régler.
L'origine du mal est incontestablement le taux d'échec: un étudiant de 1ère année qui échoue a occupé une place pendant un an, et il a couté beaucoup d'argent, pour rien, à la société. Il a aussi personnellement dépensé beaucoup d'argent pour rien, si ce n'est pour un échec ! Si on diminue le taux d'échec, on désengorge la 1ère année, et on économise de l'argent qui sera très utile pour entretenir les bâtiments et les équipements – qui en ont bien besoin –, et mettre enfin du p-cul dans les wc. Une année universitaire est en effet coûteuse: plus de 10 000 euros par étudiant, tout compris en moyenne. Tout cela est connu et parait logique, mais encore faudrait-il savoir pourquoi il y a autant d'échecs pour savoir comment y remédier.
Le taux d'échec en 1ère année est de près de 60%: en 2016, 40,1 % des étudiants inscrits en licence passent en 2e année et 27,5 % obtiennent leur diplôme en trois ans (39% sur 4 ans), avec de fortes disparités selon les universités, disparités qui prouvent qu'on peut mieux faire. Ces chiffres font comprendre pourquoi, il y a encore quelques années, on parlait de "taux de survie", ce qui a été jugé comme trop négatif, et remplacé par "taux de réussite"…. On estime que près de 30% des étudiants redoublent ou se réorientent vers une autre filière et recommencent donc une 1ère année, et qu'autant quittent l'université. Pourquoi ces échecs?
Généralement, ce sont les facteurs sociaux qui sont mis d'abord en avant en France. Rappelons qu'en 1964 parait "Les héritiers", une étude de Bourdieu et Passeron qui montre (entre autre) que les fils de cadres supérieurs de l'époque ont 42 fois plus de chances qu'un fils d'ouvrier d'entrer à l'université. Cette étude sociologique fait l'effet d'une bombe, et le ministre de l'époque comprend qu'il lui faut se résoudre à démocratiser l'université. La situation est meilleure maintenant puisqu'un fils de cadre supérieur a aujourd'hui seulement 4 fois plus de chances qu'un fils d'ouvrier d'entrer à l'université, mais quasiment 8 fois plus de chances de s'inscrire en Master ou en doctorat. Et aucune amélioration n'a été remarquée ces dix dernières années selon l'Insee: l'ascenseur social universitaire est en panne.
Les jeunes restent donc majoritairement des "héritiers", et les statisticiens incriminent (à travers leurs statistiques) les parents: on peut lire que 45% des "décrocheurs" sont enfants d'ouvriers, 30% enfants de divorcés et 22% avec un parent décédé… Bien sûr, ces chiffres sont présentés comme des corrélations et non des relations de cause à effet, mais ils présentent une vision infantilisante du monde étudiant. Vues de Norvège, ces statistiques sont proprement renversantes. Ici, un étudiant est un adulte et non pas l'enfant de ses parents. Il a plus de 18 ans, et on ne lui demande pas à l'inscription d'indiquer la profession de ses parents ni l'année de leur divorce. De même, contrairement à la France, la bourse d'étude ne dépend pas de la feuille d'impôts des parents. Et s'il 'décroche', on ne demandera pas pourquoi à ses parents. Enfin, ici, l'université n'est pas réservée aux jeunes: de nombreux étudiants sont largement adultes, ils ont travaillé un certain nombre d'années, puis senti le besoin de compléter leur formation.
Cet 'héritage' est une spécificité française qui commence bien avant l'université. On connait Pisa, l'étude internationale sur les compétences des élèves et les systèmes éducatifs, réalisée tous les cinq ans auprès d'un demi-million d'élèves de 15 ans dans 70 pays. Selon l'AFP, "Comme les éditions précédentes, l'étude Pisa publiée fin 2016 montrait que la France se situait dans la moyenne des pays comparables en termes de compétences mais notait, une fois de plus, le poids de l'origine sociale des élèves dans leur destin scolaire, bien plus que dans une grande partie des pays évalués." Cette spécificité sociale française pose bien des questions, mais on est en droit de penser qu'on ne trouve que ce que l'on cherche. Ces statistiques laissent entendre que c'est la faute des parents, ce qui est reposant: le ministère ou les facs ne peuvent pas changer le nombre d'ouvriers ou de chômeurs en France; il s'agit bien d'échecs à la fac et non pas d'échecs de la fac; idem pour le collège et le lycée (et le ministère). Restons fatalistes, c'est reposant ! Un simple exemple le montre. Des recherches ont montré que les difficultés financières des étudiants influent sur le taux d'échec ou d'abandon. On peut classer ces cas comme "enfants d'un milieu peu aisé" (cas social), ce qui permet de ne rien faire, ou au contraire, on peut s'attaquer au problème des bourses et prêt d'étudiants, ce qui est un gros boulot, qui coûtera cher et qui risque de rapporter gros…
Vu de Norvège, c'est la politique de l'autruche. Ici, on sait que les universités peuvent faire quelque chose, que les échecs sont partiellement des échecs des universités, et qu'en maniant la carotte et le bâton, on peut les inciter à faire mieux. Ici, depuis 15 ans ("kvalitetesreformen"), une bonne partie du financement des université dépend des flux de sortie (10% du budget total de l'université pour les sorties avec diplôme) contre 16% du budget global pour les flux d'entrée (l'ensemble des inscrits). En d'autres termes, plus les étudiants réussissent, plus les universités disposent d'argent. En France, depuis la reforme de 2009, la part "performance" est seulement de 4% des seuls crédits d'activité, contre 60% des crédits d'activité pour les flux d'entrée. La 'performance' de l'enseignement correspond donc à moins d'1 % du budget global. On comprend que ce n'est pas assez incitatif en France: on ne va pas prendre la peine de s'intéresser aux étudiants et à leur réussite pour si peu d'argent, le jeu n'en vaut pas la chandelle. En Norvège, on souhaite améliorer encore les flux de sortie (qui sont de 60% en 1ère année), et on réfléchit à une nouvelle réforme carotte+bâton. Au contraire, la réforme des inscription en France (2018) vise sans le dire à réduire les flux d'entrée. Le ministre ne va pas jusqu'au bout de son raisonnement: il faudrait interdire aux enfants d'ouvrier et de divorcés de s'inscrire à la fac. Pour améliorer encore plus les flux de sortie, on pourrait interdire l'inscription aux garçons puisque les filles ont un taux de réussite nettement plus élevé, etc… Bien sûr, difficile de proposer des mesures aussi élitistes, discriminatoires et contraires aux droits de l'homme.
Comme on l'a vu plus haut, l'ascenseur social universitaire est en panne en France, et les statistiques à ce sujet sont proprement scandaleuses. Un enfant de cadre supérieur a encore 43 fois plus de chances de s'inscrire à l'Ecole normale supérieure qu'un enfant d'ouvrier. Les ministres n'ont, en fait, aucune envie de plus démocratiser l'université, car, au ministère, on est persuadé que démocratiser l'éducation provoque une baisse du niveau. On est aussi persuadé qu'améliorer les flux de sortie à la fac correspond à des diplômes au rabais, c'est à dire une baisse de niveau. Depuis plusieurs siècles, nos élites clament chaque année que le niveau baisse à l'école et ailleurs. Nos élites n'ont aucune envie d'améliorer les choses: ça ne concernera pas leurs propres enfants (leurs héritiers), et cela les obligerait à réfléchir… Bref, le ministère a préféré fêter à sa manière le cinquantenaire de mai 68. Merveilleux!
Editorial, nov. 2017: Quartiers de noblesse
Il y a un an, à l'occasion de l'élection présidentielle, est ressortie l'expression "la société civile". Ça a commencé avec Charlotte Marchandise, la rennaise qui a remporté Laprimaire.org. Mais elle n'a pas obtenu ensuite les 500 parrainages nécessaires pour se présenter. L'étiquète "société civile" s'est donc libérée, Macron s'en est emparé plus vite que Mélenchon, il l'a employée à tours de bras pour en faire son label, puis, pour les législatives, il a sorti "candidat issu de la société civile".
'Civile' s'opposant à 'militaire' ou 'religieux' en français standard, il a fallu expliquer au bon peuple ce qu'on entendait par là. Charlotte Marchandise se définissait comme une Française "comme tout le monde", une "candidate citoyenne", et expliquait l'expression comme "hors des partis". On comprend pourquoi Macron et Mélenchon, qui n'avaient pas leur propre parti à l'époque, ont sauté sur l'expression. Mais cela ne réglait pas les problèmes du bon peuple, et de nombreux auditeurs de France Inter ou lecteurs de journaux demandaient ce que voulait dire « issu de la société civile ».
Des journalistes un peu trop cultivés ont alors expliqué à leurs lecteurs que l'expression vient d'Aristote, qu'elle a été reprise et théorisée par Thomas Hobbes et John Locke, puis Rousseau, Hegel, Karl Marx, Habermas, Vaclav Havel, et même l'Union européenne. Diable! E. Macron se met dans le même sac qu'Aristote, Rousseau et Marx ! Il fallait quand même calmer le jeu, et il fallait surtout préciser au bon peuple qu'on ne se référait pas à tous ces gens-là, car on n'était pas élitistes, loin de là. C'était bien sûr une notion ambigüe, ambigüité assumée, mais irritant le bon peuple qui demandait donc encore des explications.
Macron, agacé par tant d'incompréhension, a fini par lâcher "la société civile, c'est à dire le peuple", et les journalistes de la radio d'emboiter pendant plusieurs semaines: « la société civile, c'est à dire la France profonde ». On se retrouve ainsi plongés dans le monde illusoire du mythe de la caverne de Platon (La République). Geluck, par un raccourci saisissant, aurait dit « c'est à dire les spéléologues ».
(P. Geluck, "le chat est content" (Casterman, 2000)
Restait le "issu de". Sous l'ancien régime, on exhibait ses quartiers de noblesse, c'est à dire l'ancienneté de ses titres de noblesse à travers les filiations familiales. Maintenant, avec Macron, il faut étaler ses quartiers de société civile. Avec les problèmes d'AOC (appellation d'origine contrôlée) et de traçabilité que ça comporte, problèmes qui ont fait trébucher plus d'un candidat macroniste en mai-juin. Alors, on a laissé tomber le" issu de" pour faire plus simple. En effet, aucun candidat ni de droite ni de gauche n'est jamais né dans une urne, nous sommes donc tous issus de la société civile. On a expliqué que "issu de" prêtait à confusion, et que les candidats macronistes aux législatives étaient tout simplement « des personnes n'ayant jamais effectué de mandat politique ». Six mois pour arriver à cette définition ! Les enfants des spéléologues sont ainsi devenus "les marcheurs". Et exit la société civile (après les législatives).
Cette histoire de société civile macronienne est symptomatique d'une certaine vision noir et blanc de la société française où 'les élites' s'opposeraient au 'peuple'. C'est cette vision qui a plané sur les élections de mai et juin. Mélenchon, Macron et Le Pen ont pourfendu les élites, chacun à sa manière (et à chacun ses élites), et ils ont remporté les élections. Ils avaient compris que taper sur des élites, c'est payant, beaucoup plus que de parler des "plus démunis". Cela, le PS ne l'avait pas compris et ne voulait pas le comprendre: au PS, on n'est ni maso ni populiste. Est-ce dommage ?
De nombreux commentateurs ont relevé que Macron a présenté aux Français « non pas une contre-élite, mais une élite alternative »: plus jeune et dynamique, car sans passé, et qui est issue des mêmes classe sociales. Il ne s'agit donc pas de l'opposition classique France d'en haut ≠ d'en bas. Pour rappel, la France dite « d'en haut », est celle des milieux dirigeants, des responsables publics et politiques, des réseaux d'influence, des experts, des milieux financiers, de la bourgeoisie. Elle est plutôt friquée et satisfaite. Elle s'oppose à la France « d'en bas » qui, elle, est insatisfaite. Comme on le comprend, cette "France d'en bas" est celle des Français râleurs, et donc grévistes, des fonctionnaires qui s'accrochent à leurs maigres privilèges d'ancien régime, de tous ceux qui attendent avec une furieuse impatience le vendredi soir, les vacances, et la retraite… Cette France « d'en bas » n'est pas celle d'E. Macron, et ce n'est évidemment pas à cette France-là qu'il pensait comme "la société civile".
Tout ceci est une épitaphe, une oraison funèbre pour « la société civile ». L'expression est maintenant morte et enterrée car aucun parti ne mettra à la porte plus de la moitié de ses élus lors des prochaines élections. C'était donc l'expression de l'année 17. Ne soyez pas tristes: les modes passent, rien de plus normal. Quel sera le mot à la mode au printemps 2022 ?
Pour finir, une vraie-fausse citation: « Pour moi, ce n'est pas une élection, c'est un référendum. Vous devez choisir entre un monde quasiment en voie d'extinction, vieux, où ceux que vous avez nommés avant s'agrippent, et, le renouveau, le dynamisme que représente la République en marche ». Faux. C'était en réalité Beppe Grillo lors d'un meeting ce samedi 4 nov.17 à Catane (Sicile), pour le candidat du M5S, et non pas E. Macron pour les candidats LREM. (Quoique… Les législatives de juin ressemblaient furieusement à un référendum).
PS. Macronien / macroniste ? « En politique, alors que "-iste" désignera le partisan, le militant," -ien" sera attribué au courant, à la pensée formulée et théorisée. La plupart des grands hommes politiques ont ainsi eu droit à leur néologisme, passant, pour quelques-uns, du –iste au –ien: giscardien, gaullien, mitterrandien, ou chiraquien, ont ainsi succédé aux gaullistes ou chiraquistes. "Hollandien" n'est en revanche pas entré dans les annales. Ni, réellement, "sarkozien", alors que le "sarkoziste" est bien répandu. » (Marc Arabyan, linguiste) ⇒ éditoriaux 2019-21