Lexique: e, f, g, h
En entendant ou en lisant ce mot, tout Français a d'abord une pensée émue pour le fameux discours des Comices agricoles où va se sceller le destin de Mme Bovary. Ce discours commençait ainsi: « Qu'il me soit permis d'abord (avant de vous entretenir de l'objet de cette réunion d'aujourd'hui, et ce sentiment, j'en suis sûr, sera partagé par vous tous), qu'il me soit permis, dis-je, de rendre justice à l'administration supérieure, au gouvernement, au monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé à qui aucune branche de la prospérité publique ou particulière n'est indifférente, et qui dirige à la fois d'une main si ferme et si sage le char de l'Etat parmi les périls incessants d'une mer orageuse, sachant d'ailleurs… » etc, etc. 10 pages plus tard commencera le banquet: « Le festin fut long, bruyant, mal servi… »
Nous savons que la rhétorique caricaturale présentée par Flaubert date quelque peu, mais en France comme en Norvège, on continue à faire des discours pompeux et creux, gonflés de métaphores et de concepts à la mode, et qui s'effondrent comme le soufflé dès qu'on le sort du four…
Ceci explique les réactions du type « Assez de discours, des faits! » correspondant au désabusé « Det er langt fra festtale til handling« , ou « Slikt sies det i festtaler… ». Dans ce type de discours, on paie le public "avec de belles paroles" (on dit aussi "payer en monnaie de singe", mais ça fait colonial!). Les dictionnaires, pour festtale, nous proposent « Discours en l'honneur de qqn/qqch » (comme s'il s'agissait d'un simple éloge), ou « Discours solennel ». Il nous semble que "discours pompeux" ou "exercice de rhétorique" conviendraient mieux, car le mot est généralement employé de façon ironique. Il désigne toute variante du discours des Comices agricoles…
Ce type de bail est peu pratiqué en France, contrairement aux pays nordiques. C'est pourquoi beaucoup de Français ne savent pas comment traduire ces mots.
En festetomt er en tomt du (fester) leier fra en grunneier (bortfester). Når du kjøper en bolig på en festet eiendom, kjøper du samtidig rettigheten til å leie den tomten. Du betaler en årlig leie (festeavgift) for tomten. En bon français, dans un 'bail emphytéotique' (bail notarié), le 'bailleur' (le propriétaire du terrain) loue son terrain sur une longue durée pour que le 'teneur' (le locataire) puisse par ex. y construire une maison. Ce type de bail n'impose pas la construction de bâtiment, mais au moins le bon entretien voire le réaménagement des bâtiments loués, le règlement de toutes les charges, impôts et taxes. Le prix du bail est fixé dans le contrat de bail, et il peut être indexé. La durée peut être illimitée.
Il existe aussi en France une variante, le 'bail à construction', dans lequel la construction est obligatoire. Sauf disposition contraire dans le contrat, la construction est remise, sans indemnité, au bailleur (propriétaire du terrain) à expiration du bail (à l'issue du contrat). La durée du contrat est une longue durée, comprise entre 18 et 99 ans, sans tacite reconduction possible. Le loyer peut être symbolique lorsque le bailleur devient le propriétaire des constructions en fin de bail. Ce n'est généralement pas le cas en Norvège où le teneur a une possibilité d'achat du terrain (un peu comme dans une vente à terme). Il s'agit alors d'un 'bail à construction à l'envers'.
La bonne traduction de tomtefeste est donc 'bail emphytéotique'; mais c'est une traduction "en grec", langue peu connue des Français. Je préfère donc 'bail à construction', parce que c'est aussi en partie ça, et plus compréhensible.
Le bail à construction est redevenu d'actualité en France: pour en finir avec la spéculation immobilière autour de certaines villes, des municipalités de gauche veulent séparer propriété du bâti de celle du foncier, sur l'exemple des organismes de foncier solidaire qui d'ores et déjà achètent des terrains sur lesquels les futurs propriétaires n'acquièrent que leur logement (pas le terrain). Cette dernière variante est le 'bail réel solidaire'. Le gouvernement E. Philippe a fait mine quelques temps de s'intéresser à ces baux ('baux' est le pluriel de 'bail').
On peut se demander pourquoi il n'y a pas d'équivalent en français de ce simple verbe extrêmement pratique pour s'excuser d'un retard d'une heure ou deux le matin au boulot (ou à l'école): "Jeg har forsovet meg". Sur ce point, le français est nettement moins convivial que le norvégien. Il existe bien 'la grasse matinée', mais c'est réservé aux fins de semaine, et comme c'est volontaire (on se la paie, on se l'offre), ce ne peut pas être une excuse ou servir d'excuse le matin. Bien sûr, on peut dire "Je ne me suis pas réveillé » ou « j'ai oublié de me réveiller », mais un oubli est une faute. Le norvégien présente la chose de manière plus naturelle: « Jeg har forsovet meg » indique qu'il s'agit d'un problème simplement physiologique, probablement lié aux fortes variations de luminosité entre les saisons, et pour lequel il serait indécent d'exiger un certificat médical, tant qu'on n'exagère pas… La tentative « Je n'ai pas entendu mon réveil » est probablement la plus proche, puisqu'elle implique un problème physiologique au niveau de l'ouie, mais elle est moins élégante, car elle attire fatalement la réponse « Eh bien, changez de réveil ! »
Quoi qu'il en soit, il est dur de se lever le matin, qu'on habite en France ou en Norvège. Certains compensent par une sieste après le repas (middagslur) ou par un petit somme pendant les heures de travail ou d'école: ta seg en lur, en blund (å lure, å blunde, å dyppe av)… Malgré toutes ces possibilités, les Norvégiens envient quand même la sieste des méridionaux: ta seg en siesta.
J'ai reçu le numéro 26 du magazine de de ma caisse de retraite complémentaire, "Les nouvelles de l'Ircantec" ("le magazine pour bien vivre sa retraite"). Titre de la rubrique 'Evasion' : "EN SCANDINAVIE, IL EN FAUT PEU POUR ÊTRE HEUREUX". Ambigu ! Texte sous ce titre: « FRILUFTSLIV: vivre à l'air libre. L'amour et le respect de la nature, voilà ce qui motive les adeptes du Fri-luft-sliv (à prononcer en trois temps). Parce que chaque instant passé à randonner en montagne, à contempler un fjord, ou à camper au cœur d'une forêt est une expérience qui permet à chacun de savoir où il en est. Attrapez votre sac à dos, enfilez des chaussures de marche et suivez votre boussole jusqu'à la forêt la plus proche. »
Une mauvaise traduction de "friluft" (qui ne peut se traduire mot à mot par 'air libre') + un titre trop accrocheur pour dire que "Ut på tur, aldri sur", ce que Paul Fort écrivait "Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite !". Le dico traduit friluftsliv par "activités de loisir en plein air", ce qui fonctionne bien dans plusieurs contextes. Je préfère "grand air": vie au grand air, journée au grand air, rouler au grand air (en cabriolet), etc. Autre possibilité: en pleine nature.
Cette expression a été remise à la mode par le ministre de l'agriculture en 2002. Que signifie-t-elle, est-on Harry de la même façon en France et en Norvège, et comment traduire ? C'est à cette triple interrogation que nous allons tenter de répondre.
Les commentaires norvégiens sur l'expression nous entrainent surtout du côté du marketing qui découpe la population en plusieurs catégories: les innovateurs, ceux qui se jettent sur les innovations, ceux qui suivent plus mollement les modes et les nouveautés, et enfin, les limaçons, toujours en retard d'une guerre dans leur consommation. « Harryene er oss seine og sinkene…, som alltid ligger i etterskudd i forhold til trender…, som eier ei campingvogn eller handler sine varer der de er billigst… Harryenes hevn ligger i deres antall. Utem dem stopper Norge". (Stein Aabo, Dagbladet)
Nous emprunterons les commentaires français à Pierre Bourdieu qui a consacré un livre à cette expression en 79, « La distinction –critique sociale du jugement ». Selon Bourdieu, « Les goûts (c-à-d. les préférences manifestées) sont l'affirmation pratique d'une différence inévitable. Ce n'est pas par hasard que, lorsqu'ils ont à se justifier, ils s'affirment de manière toute négative, par le refus opposé à d'autres goûts: en matière de goût, plus que partout, toute détermination est négation; et les goûts sont sans doute avant tout des dégoûts, faits d'horreur ou d'intolérance viscérale ('c'est à vomir') pour les autres goûts, les goûts des autres. » Ainsi, Bourdieu explique ironiquement que det er Harry « rejette (vomit) l'esthétique populaire, celle des calendriers des postes, ce qui est 'joli' ou 'mignon'… »
On remarquera au passage que les références ne sont pas les mêmes (il n'existe malheureusement pas de calendrier des postes en Norvège; faut-il créer un service pour aider les membres de l'association à s'en procurer un ?), et que tout ce que les Norvégiens définissent comme 'koselig' est donc aussi un peu 'harry', c-à-d. en français, 'mignon', 'plouc' ou 'beauf'. Enfin, on comprend bien le tollé qu'a provoqué le ministre de l'agriculture traitant de 'ploucs' ses concitoyens…
Bourdieu nous donne aussi la traduction du début de l'expression (det er) « qui est au principe de tous les jugements de la forme 'ça fait…' (ça fait petit-bourgeois, ça fait nouveau riche, etc)… » Ainsi, notre expression doit-elle se traduire par 'ça fait plouc', ou 'ça fait beauf'.
Plus compliqué sera le composé 'harrytur' qui désigne une promenade en Suède ou Danemark pour y faire des achats moins chers: 'une virée beauf' ou 'virée d'achats ploucs' ne sera pas compris par des Français. Proposons 'une virée transfrontalière'.
Pour finir, rassurez-vous: comme les Français ont une image peu harry (mais plutôt intello-chômeur) dans l'imaginaire des Norvégiens, il n'existerait pas de beauf ou ploucs français en Norvège. Quoique…
Notes: Les postiers distribuent encore environ 10 millions de calendriers en France, selon les chiffres de 2019. En 2020 est apparu en norvégien le mot 'en harryhandler' pour désigner un type qui va faire ses courses en Suède.